Victor Richet

Victor Richet

Directeur adjoint - programme Visite Décennale

Ingénieur en physique des réacteurs nucléaires de formation, Victor a une solide expérience dans la conception et le déploiement des outils d’ingénierie numérique et digitale.

Dans les milieux industriels, la maîtrise des informations apparait comme un enjeu majeur permettant une gestion efficace et optimisée des actifs tout au long de leur durée de vie, du début de la spécification des installations jusqu’à leur démantèlement. Du fait de la complexité des systèmes mis en œuvre au sein de certaines infrastructures, le volume de données accumulées tout au long du cycle de vie est particulièrement important. Dans le cas d’une centrale nucléaire, on peut avoir en fin de phase de conception : jusqu'à 25 000 documents ; 35 000 exigences ; 100 000 composants élémentaires et 1 500 000 données techniques élémentaires. Des chiffres qui peuvent pour certains être multipliés par 10 en phase de construction et de mise en service.

Cependant, un des préalables est de savoir comment créer et organiser toutes ces données. Ce sujet est primordial d’autant plus que plusieurs outils et méthodes seront utilisés tout au long de la vie de l’actif, qu’ils devront s’interfacer et « parler » entre eux. Les solutions passeront par l’ingénierie système et les outils digitaux.

Document Centric et Data Centric : ce que couvrent ces deux notions

Aujourd’hui encore, la maîtrise du cycle de vie des installations complexes et de l’ensemble des systèmes qui les composent est majoritairement basée sur la gestion de la documentation associée (papier, notes, photos…) : on parle de Document Centric. Ces « documents » sont gérés en configuration, à l’aide d’outils de GED (Gestion Electronique des Documents), afin de maîtriser leurs évolutions durant toutes les étapes du cycle de vie des installations : conception préliminaire et détaillée, études d’exécution, construction, essais, puis exploitation et, enfin, démantèlement.

Les données sont créées dès l’établissement du cahier des charges et sont toutes liées entre elles : les documents contiennent des exigences ; les exigences sont déclinées sur des composants élémentaires ; ces composants élémentaires ont des caractéristiques techniques (pression, débit, poids…) et peuvent faire partie d’une chaîne critique. « C’est là où la notion de Data Centric devient pertinente : elle vise à gérer en configuration les données techniques élémentaires. Pour autant, devant leur nombre, il faut rester pragmatique et l’on gérera encore longtemps à la fois des documents et des datas. »

L’objectif est de constituer un modèle de données aussi tôt que possible dans le projet, définissant quelles informations vont être produites, transmises, consommées, par qui et dans quel cadre. Naturellement, ce modèle de données évoluera pour refléter les modifications et la vie du projet et de l’actif.

L’ingénierie système – une base théorique essentielle …

Face au besoin de cohérence de données tout au long de la vie d’une installation, certaines industries ont développé, depuis les années 1950, un champ scientifique visant à construire les éléments théoriques permettant d’appréhender et de gérer efficacement leurs systèmes complexes. Il s’agit de l’ingénierie système, mise en œuvre en premier lieu au sein des industries aéronautiques et de la défense, qui s’est par la suite étendue à d’autres secteurs d’activités (naval, automobile, …) ayant tous en commun un cadre règlementaire contraint, un haut degré de technicité et une transdisciplinarité très importante. L’ingénierie système s’articule autour de plusieurs grands domaines visant à répondre au mieux aux problématiques constatées sur des projets concrets (gestion des exigences afin de s’assurer de la conformité des produits conçus, gestion des interfaces afin de s’assurer d’une bonne intégration des systèmes et sous-systèmes, …). L’idée centrale en est le découpage d’un produit en systèmes et en sous-systèmes récursivement en appliquant à chaque étape le suivi des contraintes, exigences, interfaces, etc. afin d’aboutir à un degré de complexité permettant un pilotage sécurisé.

… avec des objectifs et un modèle de données très concrets

Néanmoins, l’ingénierie système vise avant tout à sécuriser et à optimiser des projets, donc à répondre à des cas d’usage et des problématiques concrètes rencontrées lors de la gestion d’un actif, que ce soit en phase de conception, de construction, d’essais, d’exploitation, de maintenance ou de démantèlement. Dans ce cadre, cette palette d’outils théoriques doit être adaptée, ajustée et modulée en fonction des attendus spécifiques à son déploiement sur un cas réel. On peut, par exemple, citer :

  • La maîtrise au cours de son développement, de la configuration d’un produit complexe, comme cela peut être le cas dans le nucléaire avec des temps de développement parfois très longs,
  • L’optimisation de la démarche d’essais via un suivi optimisé des exigences tout au long de la conception et de la construction,
  • L’accès rapide et efficace à l’information via une indexation pertinente et un découpage actualisé de la documentation du produit,
  • Une meilleure gestion des stocks et une optimisation de la maintenance par une bonne adéquation entre le suivi en configuration du produit et l’organisation optimisée des données le concernant.

La finalité sera donc, en fonction du cas d’usage attendu, d’aligner les briques théoriques adéquates avec les données pertinentes. Ces modèles de données sont de différents types, origines ou niveaux de détail. Ils sont élaborés pour des objectifs métiers particuliers et emploient des langages et des outils de modélisation différents selon les prismes métiers.

De plus, compte-tenu de la volumétrie de données en jeu, ces modèles de données se doivent de reposer sur des outils digitaux variés qui permettront une approche holistique de l’actif considéré.

Les passerelles entre le BIM et le PLM deviennent incontournables pour une gestion sans faille des actifs industriels complexes, en particulier compte-tenu du volume de données à gérer.

Le BIM, le PLM, deux pendants numériques longtemps dissociés…

La mise en œuvre de maquettes numériques en 3D pour sécuriser la conception des actifs constitue une des premières étapes qui a été franchie. Elle a notamment été rendue nécessaire dans le monde de l’infrastructure, où le besoin de disposer d’une visualisation en 3D des actifs avant leur construction était primordiale. Ces maquettes sont décomposées en objets, auxquels on peut associer des données (ou attributs). Par exemple, à l’objet « pompe », il est possible d’adjoindre des caractéristiques techniques de type performance (pression, débit…) ou de type physique (dimension, poids…) « Dans le secteur du BTP, on parlerait de BIM (Building Information Modeling), il s’agit bien du même concept. ». Le BIM est donc l’adjonction à une modélisation en 3D de l’actif considéré d’un modèle de données permettant d’augmenter le contenu d’information et la transdisciplinarité de la représentation.

Parallèlement, la démarche PLM (Product Lifecycle Management) permet, quant à elle, de gérer l’ensemble des informations relatives à un produit sur toute sa durée de vie, et regroupe notamment des concepts, méthodes et outils logiciels collaboratifs. Elle a été rendue nécessaire dans le monde de la conception de systèmes (aéronautique, automobile, naval, défense) où le volume et la diversité des informations à rattacher à un composant ou à un équipement rendait impossible sa gestion sans moyens numériques. Par exemple, il pouvait s’agir concrètement d’attacher à une pompe les exigences de conception qui s’y appliquaient, la configuration du produit pour laquelle cette pompe était utilisée ou l’ensemble des autres équipements avec lesquels cette pompe était en interface (tuyauterie, contrôle-commande, etc …). Cette démarche permet également une gestion fine de la validité de la donnée, par le biais de circuits de vérification paramétrables impliquant diverses parties prenantes (on parle alors de workflows), mais aussi son indexation par un nombre parfois considérable d’arborescences croisées (on parle alors de PBS ; Product Breakdown Structure, FBS ; Functionnal Breakdown Structure, GBS ; Geographical Breakdown Structure, …).

… qu’il apparait essentiel de rassembler

La convergence entre ces deux typologies d’outils apparait donc :

  • Possible du fait de l’accroissement des capacités informatiques et de calcul permettant de gérer des quantités de données de plus en plus importantes, ainsi que des représentations de plus en plus complexes,
  • Cohérente, du fait de la complémentarité entre les données gérées et les utilisations de ces outils, permettant en outre de faire émerger des synergies et des usages reposant sur le transfert de ces données,
  • Logique, en particulier dans le cadre de l’industrie nucléaire où les domaines de l’infrastructure et du système sont étroitement corrélés,
  • Nécessaire du fait de l’augmentation de la complexité des actifs à gérer, de la masse de données à traiter et de leur pluridisciplinarité, ce qui rend leur diffusion et leur partage de plus en plus crucial pour la réussite d’un projet.

Le développement de passerelles, d’interconnexions et de cas d’usages communs permettant de construire efficacement une plateforme reprenant les fonctionnalités traditionnellement attachées aux mondes du BIM d’une part et du PLM de l’autre apparait donc incontournable, notamment dans le cadre de l’industrie nucléaire.

L’Asset Information Hub

Cette réflexion de convergence BIM/PLM ne doit toutefois pas s’arrêter là, elle doit inclure plusieurs autres chantiers, outils et démarches. En effet, d’autres approches s’appliquent aux même travaux d’ingénierie et de conception d’actifs, ont pour objectif de fournir un support à une démarche de gestion d’actifs optimisée et ont recours à des outils informatiques et numériques (par exemple, les logiciels de management de projet ou de programme). Il s’agit là de construire, autour d’une convergence BIM/PLM, une plateforme de gestion d’actifs incluant les briques nécessaires aux cas d’usages identifiés, dont les échanges seront codifiés par un modèle de données ad hoc, un Asset Information Hub. Plus précisément, la démarche Asset Information Hub consiste donc en une réflexion en trois phases :

  • Compréhension fine du besoin exprimé et de l’attendu en termes fonctionnels,
  • Traduction du besoin sous la forme de flux et de consommations de données,
  • Construction d’une architecture digitale basée sur des briques existantes visant à matérialiser ces flux de données.

Dans ce cadre, la démarche Asset Information Hub repose naturellement sur un ensemble de briques logicielles et numériques existantes ou spécifiables, parmi lesquelles on peut identifier notamment le BIM et le PLM, d’où l’enjeu de convergence exprimé supra. On peut également ajouter à cet inventaire des logiciels d’ingénierie plus spécifiques – de modélisation de fluides ou d’éclairage, le management de projet, etc.

La plateforme Asset Information Hub repose sur des briques logicielles et numériques notamment le BIM et le PLM.

En termes de mise en œuvre, les cas d’usages sont nombreux : interfaçage BIM/PLM permettant d’identifier rapidement l’impact d’une exigence ou d’une modification, passerelle BIM/PLM/GMAO (Gestion de maintenance assistée par ordinateur) en vue d’intégrer sous forme graphique la gestion de la configuration et des stocks, etc.

L’intelligence artificielle en complément

Cette approche de l’ingénierie système outillée, voire basée sur les modèles, permet de disposer d’un environnement collaboratif regroupant l’ensemble des données et briques technologiques permettant de sécuriser les différentes phases d’un projet. Il est alors possible, par exemple, d’exploiter les technologies d’intelligence artificielle (IA) pour améliorer l’efficacité des phases d’ingénierie des exigences. Cela peut également servir de base pour développer des jumeaux numériques des systèmes complexes, ou pour optimiser l’exploitation des installations. « Par exemple, on peut utiliser des outils de Data Mining pour les phases de capture et de déclinaison des exigences ; ou des outils mettant en œuvre des moteurs de règles pour capitaliser sur le retour d’expérience. Une aide à la décision guidée par les données peut également être apportée pour mieux piloter la conduite des différentes étapes et sécuriser les plannings.»

De fait, il n’est pas imaginable de tout pouvoir, devoir et savoir modéliser : qui le pourrait ou accepterait de le faire ou de s’engager à le faire d’ailleurs ? L’enjeu est ici de savoir construire (approches ontologique et sémantique), peupler (recherche et alimentations de données issues de bases de données existantes et distantes…), analyser et aligner les référentiels avec les besoins des métiers, et ce dans le but d’optimiser et de sécuriser les différentes étapes, de la conception à l’exploitation.

Vers le Jumeau Numérique

Une fois muni des outils et concepts pertinents, l’Asset Information Hub peut donc constituer un véritable jumeau numérique de l’actif considéré, basé sur les données réelles de l’actif, collectées durant l’ensemble de son cycle de vie, intégrant sa représentation en 3D et les briques informatiques permettant de simuler et/ou de prédire ses comportements les plus pertinents.

Toutefois, la construction d’une plateforme intégrant tout ou partie (en fonction des impératifs projet) des dimensions listées ci-dessus pose une problématique majeure, intrinsèquement liée à la donnée manipulée à toutes les étapes du processus. Il s’agit non seulement de permettre aux différents outils, ainsi qu’à leurs spécificateurs, intégrateurs et développeurs, d’accéder aux données fréquemment contenues dans un ou des documents mais aussi de les lier les unes aux autres, ainsi qu’aux éléments physiques de l’installation. Enfin, il est nécessaire de réaliser ces activités en évitant des incohérences entre les données si elles sont classées à plusieurs endroits.

L’Asset Information Hub peut constituer un véritable jumeau numérique de l’actif considéré.

Les modèles de données ISBM

La démarche ISBM (Ingénierie Système Basée sur les Modèles – ou MBSE en anglais) permet d’apporter une partie de la réponse à la problématique de cohérence entre les données, en passant d’une ingénierie basée sur des documents à une ingénierie basée sur des modèles.

Ces modèles sont destinés à représenter et formaliser l’installation ou le système concerné (dit système d’intérêt, ou « système à faire »), l’environnement opérationnel (dans lequel ce système d’intérêt devra évoluer au cours de son cycle de vie) et enfin le système projet ou « système pour faire » (qui met en avant des modèles de planning, de profil de ressources, des tableaux de bord et indicateurs, de calcul de coût, …).

« Ces modèles sont cruciaux par exemple pour aboutir à une vérification et une validation la plus exhaustive, crédible et plausible du système d’intérêt avant même sa réalisation et sa livraison au client. Dans le cadre d’un schéma d’organisation de la donnée – ou modèle de donnée – ils hébergeront par exemple les interfaces, ou la liste des matériels des systèmes étudiés. »

Cette approche MBSE constitue, au même titre que le BIM et le PLM un élément essentiel de la conception des systèmes complexes mêlant infrastructure et produit. L’ensemble de ces éléments facilite et irrigue les processus d’ingénierie avec des représentations partageables en confiance par les acteurs. Parallèlement, chaque composante apporte des fonctionnalités spécifiques, notamment le PLM qui complète le dispositif pour garantir une unicité de la donnée et sa gestion en configuration et, là aussi, un partage en confiance.

« Chez Assystem, nous utilisons les langages de modélisation, la méthodologie Arcadia et l’environnement Capella pour appliquer cette approche ISBM/MBSE, comme nous assurons le lien avec les plateformes PLM (telle 3DExperience de Dassault Systèmes). En complément, nous lançons une chaire industrielle avec l’IMT Mines Alès pour étudier et chercher à résoudre les verrous conceptuels (quoi ? pourquoi ?), méthodologiques (comment ?) et techniques (avec quoi ?) rencontrés pour déployer efficacement la démarche ISBM/MBSE. »

L’humain au centre de l’utilisation de ces outils

Ces technologies doivent redonner du temps à l’ingénieur pour accomplir ce pour quoi il a été formé : concevoir, modéliser et simuler les systèmes. Il est donc primordial de donner du sens à l’introduction de ces technologies, en choisissant des cas pratiques rapides à mettre en œuvre pour des résultats exploitables immédiatement.

Il est essentiel de la même façon de garder à l’esprit que ces outils ont vocation à être utilisé par le plus grand nombre dans l’ingénierie, à toutes les générations, celles qui ont vu arriver les NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) et les Digital Natives. En conséquence, à la fois l’interface, mais aussi l’accompagnement et la conduite du changement permettant leur adoption constituent une composante à ne pas négliger.

« L’humain doit donc toujours rester au centre de l’utilisation de ces outils et de la mise en œuvre des processus associés. La conduite du changement est clé et, certainement, l’aspect le plus délicat à réussir », conclut l’expert.

En savoir plus sur nos offres : Maquette numérique BIMPLM (Product Lifecycle Management)

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